BUREAU DE PRESSE

Date 23/12/2005 12:56:25 | Topic: CHYPRE

CHYPRE ARRÊT DE CHAMBRE XENIDES-ARESTIS c. TURQUIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué le 22 décembre 2005 par écrit son arrêt de chambre [1] dans l’affaire Xenides-Arestis c. Turquie (requête no 46347/99).
La Cour conclut :
• par six voix contre une à la violation de l’article 8 (droit au respect du domicile de la requérante) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;
• par six voix contre une à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) de la Convention ;
• à l’unanimité qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief de la requérante tiré de l’article 14 ; et,
• à l’unanimité que la Turquie doit instaurer, dans un délai de trois mois, une voie de recours qui garantisse, pour les violations de la Convention constatées dans l’arrêt, une réparation véritablement effective pour la requérante et en ce qui concerne toutes les requêtes similaires (environ 1 400) pendantes devant la Cour. Dans l’attente de la mise en œuvre de mesures générales, la Cour reporte l’examen de toutes ces requêtes.

En outre, la Cour estime à l’unanimité que, pour ce qui est du préjudice matériel ou moral, la question de l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention ne se trouve pas en état, et alloue à la requérante 65 000 euros pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

1. Principaux faits

La requérante, Myra Xenides-Arestis, est une ressortissante chypriote d’origine chypriote grecque qui est née en 1945 et réside à Nicosie.

La requérante possède pour moitié une parcelle de terrain située dans la région de Ayios Memnon, à Famagouste (partie nord de Chypre), que sa mère lui a donnée. Sur ce terrain se trouvent un magasin, un appartement et trois maisons. L’intéressée occupait avec son mari et ses enfants l’une des maisons, qui constituait son domicile, le reste de la propriété étant utilisé par des membres de la famille ou loué à d’autres personnes. Elle possède aussi une partie d’un terrain comportant un verger.

La requérante est privée de la possibilité d’habiter sa maison ou d’utiliser sa propriété depuis août 1974, en raison de la partition de Chypre ; celle-ci dure depuis les opérations militaires menées par la Turquie dans le nord de Chypre, en juillet-août 1974.

Le 30 juin 2003, le « Parlement de la République turque de Chypre du Nord » adopta la « loi sur l’indemnisation relative aux biens immobiliers situés à l’intérieur des frontières de la République turque de Chypre du Nord ». Une commission chargée de traiter les demandes d’indemnisation fut instaurée en vertu de cette « loi ».

Le plan des Nations Unies pour la réunification de Chypre (l’Accord fondateur – Plan de règlement ou « Plan Annan »), fut soumis, le 24 avril 2004, au vote des communautés chypriote grecque et chypriote turque dans le cadre de deux référendums séparés. Le plan ayant été rejeté par les Chypriotes grecs, il ne put entrer en vigueur.



2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 4 novembre 1998. Une audience sur la recevabilité s’est tenue au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 2 septembre 2004, et la requête a été déclarée recevable le 14 mars 2005.


3. Résumé de l’arrêt [3]

Griefs

La requérante se plaignait d’une violation continue de ses droits au titre de l’article 8 (droit au respect du domicile) de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (protection de la propriété) en ce qu’elle est privée depuis août 1974 de son droit au respect de son domicile et de ses biens. Elle soutenait en outre que les forces militaires turques, au mépris de l’article 14 (interdiction de la discrimination), lui interdisent l’accès et l’usage ainsi que la jouissance de son domicile et de ses biens parce qu’elle est de religion orthodoxe grecque et d’origine chypriote grecque.

Décision de la Cour

Article 8

La Cour observe que la situation de la requérante se distingue de celle de Mme Loizidou dans l’affaire Loizidou c. Turquie (arrêt du 18 décembre 1996) en ce que Mme Xenides-Arestis vivait effectivement à Famagouste. Depuis 1974, elle est privée de l’accès, de l’usage et de la jouissance de son domicile.

La Cour conclut, comme elle l’a déjà fait dans l’arrêt Chypre c. Turquie (arrêt su 10 mai 2001), que le déni total du droit de Mme Xenides-Arestis, personne déplacée d’origine chypriote grecque, au respect de son domicile, situé dans la partie nord de Chypre constitue une violation continue de l’article 8.

Article 1 du Protocole no 1

La Cour relève que le Gouvernement turc exerce toujours un contrôle militaire global sur la partie nord de Chypre et que le rejet, par les Chypriotes grecs, du Plan Annan n’a pas pour conséquence juridique de mettre fin à la violation continue des droits des personnes déplacées.

La Cour estime par ailleurs que la requérante doit toujours être considérée comme la propriétaire légale de son terrain.

La Cour ne voit aucune raison de s’écarter des conclusions auxquelles elle est déjà parvenue dans des affaires précédentes, en particulier dans l’affaire Loizidou c. Turquie : « Du fait qu’elle se voit refuser l’accès à ses biens depuis 1974, l’intéressée a en pratique perdu toute maîtrise de ceux-ci ainsi que toute possibilité d’usage et de jouissance. Le déni continu de l’accès doit donc passer pour une ingérence dans ses droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (...) Il [le gouvernement turc] n’explique pas en quoi la nécessité de reloger des réfugiés chypriotes turcs déplacés dans les années qui suivirent l’intervention turque dans l’île en 1974 peut justifier la négation totale des droits de propriété de la requérante par le refus absolu et continu de l’accès et une prétendue expropriation sans réparation. La circonstance que les droits de propriété aient été l’objet de pourparlers intercommunautaires auxquels participèrent les deux communautés de Chypre ne peut pas, elle non plus, justifier cette situation au regard de la Convention. »

Partant, la Cour conclut qu’il y a eu, et qu’il y a toujours, violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du fait que la requérante est privée de l’accès, du contrôle, de l’usage et de la jouissance de ses biens et de toute indemnisation au titre de l’atteinte à ses droits de propriété.

Article 14

Conformément à l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Chypre c. Turquie, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, les griefs tirés de l’article 14 sont en définitive les mêmes (bien qu’envisagés sous un angle différent) que ceux qui ont été examinés dans le cadre de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Dans la mesure où elle a déjà conclu à la violation de ces articles, la Cour ne juge pas nécessaire de rechercher s’il y a violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 et l’article 1 du Protocole no 1 du fait d’un traitement discriminatoire à l’encontre des Chypriotes grecs ne résidant pas dans la partie nord de l’île en ce qui concerne leur droit au respect de leurs biens.

Article 46

Les conclusions de la Cour impliquent en soi que la violation des droits de la requérante au titre de l’article 8 et de l’article 1 du Protocole no 1 tire son origine d’un vaste problème touchant un grand nombre de personnes : l’atteinte injustifiée au droit de la requérante au « respect de son domicile » et au « respect de ses biens » relève d’une politique ou d’une pratique ayant cours dans la « République turque de Chypre du Nord ». En outre, la Cour ne peut négliger le fait qu’environ 1 400 requêtes relatives au droit de propriété sont pendantes devant la Cour et qu’il s’agit essentiellement de requêtes formées par des Chypriotes grecs et dirigées contre la Turquie.

La Cour estime que la Turquie doit instaurer, dans un délai de trois mois, une voie de recours qui garantisse, pour les violations de la Convention constatées dans l’arrêt, une réparation véritablement effective pour la requérante et en ce qui concerne toutes les requêtes similaires pendantes devant la Cour, conformément aux principes de protection des droits énoncés à l’article 8 de la Convention et à l’article 1 du Protocole no 1. Cette voie de recours devrait être ouverte dans un délai de trois mois, et la réparation devrait intervenir trois mois plus tard.





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