Turquie : liberté d’expression à géométrie variable
Nous nous rappelons tous les manifestations parisiennes grandioses du 11 janvier dernier, manifestations qui avaient pour objectif la défense de la liberté d’expression. Lors de ces manifestations, plusieurs pays ont dépêché des représentants pour marquer leur soutien à cette noble cause. Déjà à l’époque, certaines présences ont suscité des interrogations ; parmi celles-ci celle du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a concentré de nombreux commentaires pour ne pas dire critiques…
Car, même si le journal turc « Cumhuriyet » a publié les caricatures de « Charlie Hebdo » (la une en miniature dans les pages intérieures), cela ne s’est pas fait sans coût : la sortie du quotidien n’a été possible qu’après contrôle de la police turque. Mais là n’est pas le plus important. Nous apprenons aujourd’hui que deux journalistes du quotidien turc sont poursuivis pour avoir reproduit dans leurs pages la couverture du numéro de Charlie Hebdo publié une semaine après l'attentat du 7 janvier. Ces deux journalistes risquent quatre ans et demi de prison, assurait mercredi 8 avril le site de « Cumhuriyet ». Il leur est reproché d'avoir « insulté les valeurs religieuses du peuple ».
« Nous sommes menacés de prison pour avoir défendu la liberté d'expression (...) », a réagi l'une des journalistes, Ceyda Karan, précisant qu'elle bénéficiait de la protection d'un garde du corps depuis janvier. Son journal, proche de l'opposition laïque, est à couteaux tirés avec les partisans du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan.
La direction du quotidien turc avait expliqué mi-janvier avoir longtemps hésité avant de braver l'interdit et de publier les caricatures. Son rédacteur en chef, Utku Cakirözer, assure avoir « respecté la sensibilité religieuse de la société turque » tout en défendant la liberté d'expression. « Cette caricature n'a rien à voir avec le prophète Mahomet, c'est un symbole d'humanité et d'équité », avait-il encore déclaré.
Si l’on rajoute à cela le contrôle exercé sur les réseaux sociaux et les procès en cascade contre tous ceux qui osent critiquer le sultan Erdogan, cela fait beaucoup pour un pays manifestant pour défendre la liberté d’expression.
Sources : Le Monde, Reuters, AFP
Charalambos Petinos
Historien et écrivain