Erdogan, l’islamiste qui tente de créer le véritable État islamique en Turquie.
J’ai souvent écrit sur la situation politique de la Turquie d’Erdogan. Malgré la résistance des milieux laïques qui représentent tout de même un peu moins de la moitié de la population turque, le maître d’Ankara a toujours su tirer profit de toutes les situations et gagner les élections depuis le début des années 2000. Encore mieux : quelquefois il les a créées lui-même, ces situations qui lui ont été favorables…
De l’instrumentalisation du nationalisme, à l’utilisation de l’islam politique pour asseoir son autorité et se rallier ceux qu’on appelle les « Turcs noirs » habitants des campagnes isolées et oubliées de la modernité, à l’exacerbation les tensions communautaires à l’intérieur du pays jusqu’à l’armement de certaines milices islamistes qui se battent contre Assad et à la chasse de tout élément kurde – d’où qu’il vienne – etc, etc, la liste est longue… il s’est maintenu au pouvoir depuis toutes ces années.
Après la règlementation de la vente et de la consommation d’alcool, après la construction à tout va des mosquées, après l’explication de la place de la femme dans la société turque : au foyer à élever des enfants, le temps de la dispense des leçons de politique internationale et de géopolitique est venu pour le Sultan d’Ankara qui se rêvait calife.
En janvier 2018 déjà, devant un président Macron médusé (lors d’une conférence de presse commune à l’Elysée), il reprenait en le réprimandant un journaliste français qui avait osé poser la question de la contribution du régime turc à l’armement et au développement de l’État islamique en Syrie et en Irak.
Plus récemment, le maître d’Ankara a encore réprimandé, directement cette fois, le président Macron car ce dernier a osé dire que le droit international permettait à la petite République de Chypre d’exploiter ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive (ZEE). Rappelons sur ce point, que la Turquie, contre toute logique et contre le droit international, refuse le droit à Chypre d’exploiter sa ZEE ; elle considère que cet espace lui appartient et y a dépêché des plateformes de forage empiétant sur les domaines acquis par des compagnies pétrolières telles que Total ou encore Eni.
Mais, laissons l’approfondissement de cette question des hydrocarbures en Méditerranée orientale pour un autre article spécifique.
Revenons au différend entre Macron et Erdogan : Le président français a déclaré, lors du sommet des Med7 (membres de l’Union européenne du sud de l’Europe, regroupant la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Chypre, Malte et la Grèce) qui s’est tenu à La Valette le 14 juin, que : « … je veux ici redire une nouvelle fois mon entière solidarité avec Chypre et mon attachement au respect de sa souveraineté. La Turquie doit cesser ses activités illégales dans la zone économique exclusive de Chypre. L'Union européenne ne fera preuve d'aucune faiblesse sur ce sujet. »
Dans ses conclusions, le Med7 précisait encore : « Nous réitérons notre soutien et notre entière solidarité avec la République de Chypre dans l'exercice de ses droits souverains à explorer, exploiter et développer ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive, conformément au droit de l'UE et au droit international. Conformément aux conclusions précédentes du Conseil et du conseil européen, nous rappelons l'obligation incombant à la Turquie de respecter le droit international et les relations de bon voisinage. Nous exprimons notre profond regret que la Turquie n'ait pas répondu aux appels répétés de l'Union européenne condamnant la poursuite de ses activités illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée et nous manifestons notre grande inquiétude au sujet de réelles ou potentielles activités de forage au sein de la zone économique exclusive de Chypre. Nous demandons à l'Union européenne de demeurer saisie de cette question et, au cas où la Turquie ne cesserait pas ses activités illégales, d'envisager les mesures appropriées, en toute solidarité avec Chypre. Nous appelons la Turquie à respecter ses obligations dans le cadre des négociations, y compris la mise en œuvre intégrale et non discriminatoire du protocole additionnel à l'accord d'association vis-à-vis de tous les États membres. Nous réitérons que la reconnaissance de tous les États membres est essentielle. À cet égard, nous réitérons notre appel à la Turquie pour normaliser ses relations avec Chypre. »
Rappelons également que quelques jours plus tard, lors du Conseil de l’UE sur l’élargissement (Luxembourg, le 18 juin), les 28 ont conclu, à propos de la candidature turque : « Le Conseil continue d'attendre de la Turquie qu'elle se prononce sans ambiguïté en faveur de relations de bon voisinage, du respect des accords internationaux et du règlement pacifique des différends, et qu'elle fasse appel, au besoin, à la Cour internationale de justice. Le Conseil rappelle les précédentes conclusions du Conseil et du Conseil européen et en réaffirme la validité, notamment les conclusions du Conseil européen du 22 mars 2018 condamnant fermement les actions illégales que la Turquie continue de mener en Méditerranée orientale et en mer Égée. Le Conseil fait part des graves préoccupations que lui inspirent les activités de forage illégales que mène actuellement la Turquie en Méditerranée orientale et regrette que la Turquie n'ait pas encore répondu aux appels répétés de l'Union européenne visant à mettre un terme à ces activités. Le Conseil souligne que ces actions illégales ont une incidence négative immédiate considérable sur l'ensemble des relations entre l'UE et la Turquie. Il demande à la Turquie de faire preuve de retenue, de respecter les droits souverains de Chypre et de s'abstenir de toute action de ce type. L'UE suivra de près l'évolution de la situation et se tient prête à réagir de manière appropriée et en totale solidarité avec Chypre. Le Conseil invite la Commission et le service européen pour l'action extérieure à proposer sans délai des options en vue de mesures appropriées. »
L’ire du calife d’Ankara n’a pas tardé : Dans un style qui lui est propre, il s’en est pris à Emmanuel Macron le qualifiant de novice et lui intimant de s’occuper de ses affaires !
Faut-il rajouter quelque chose ?
Je ne le crois pas ! Quand les relations internationales et la diplomatie atteignent un tel niveau, les paroles sont inutiles.
Nonobstant, l’Union européenne osera-t-elle aller jusqu’à imposer des sanctions à la Turquie, pays qui occupe un territoire chypriote et par extension européen et de nouveau envahisseur cette fois dans la ZEE de Chypre, donc de l’Europe ? L’UE a imposé, tout récemment, des sanctions à un autre pays situé plus à l’est ; osera-t-elle le faire contre la Turquie, ou regardera-t-elle ailleurs en sifflant ?
En réalité, l’UE est acculée : que faire face à la Turquie d’Erdogan, sachant que ce dernier n’hésite jamais à instrumentaliser tout ce qui se trouve à portée de la main pour arriver à ses fins. Et cette fois, il a un atout de taille : les réfugiés syriens sur son sol. Et s’il les lâchait vers l’Europe ? Je n’ose même pas imaginer les cauchemars des dirigeants européens… Et les droits de l’homme me direz-vous. Ça, c’est une autre paire de manche : on utilise les droits de l’homme à géographie variable depuis si longtemps que nombre de personnes n’osent même plus les évoquer…
L’islam politique, c’est d’abord un comportement spécifique ; Erdogan l’applique méthodiquement et surement à son peuple et tente de l’imposer au monde. Les premiers qui en souffrent sont les Turcs eux-mêmes. Ensuite tous les voisins et tous ceux qui tentent une autre approche de la vie et des relations entre individus et entre États.
Charalambos Petinos, historien et écrivain