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ACROPOLIS Revue Hellénique : Articles paru dans le numéro 77
le 9/6/2005 12:47:50

FAMAGOUSTE A la découverte de la terre de mes ancêtres

FAMAGOUSTE



A la découverte de la terre de mes ancêtres

Comme beaucoup d'entre vous, je profite des grandes vacances pour retourner à la Mère Patrie, moment estival privilégié et obligatoire pour faire le vide, se retrouver afin de mieux affronter la rentrée et les onze (trop) longs mois qui la suivront durant lesquels nous serons loin de la terre de nos ancêtres.
Pourtant, petite, je n'allais que très rarement en Grèce. Mon père étant chypriote nous partions en vacances en famille, sur l'île d'Aphrodite, au Kolossi, petit village près de Limassol, où grand nombre de réfugiés habitent depuis l'invasion de 1974. Nous rendions visite aux oncles et aux tantes, aux cousins et aux cousines, aux amis et nous profitions de toutes les merveilles que nous offrait notre petite Île.
Je me souviens de l'odeur du pain qui cuisait dans le four de ma Yaya et de tous ces repas où nous passions des heures à discuter et à se raconter nos vies. Je me souviens de tous ces moments passés la nuit, à regarder les étoiles, sur la terrasse, imprégnés par l'odeur du jasmin.Je me souviens des concerts auxquels nous assistions dans le théâtre antique de Kourion, situé en haut d'une falaise qui surplombe la mer.C'est au pied de cette dernière que nous allions à la plage avec pour simples mets une pastèque et un halloumi, fromage chypriote. Avec mon frère et mes cousins, nous attendions impatiemment le passage du "camion à glaces" pour déguster notre cornet à la rose. Je me souviens de nos excursions au Troodos, montagne au centre de l'île, et de nos passages au monastère de Kykkos, pour notre proskinima (pèlerinage) annuel. Je me souviens de la fête du vin de Limassol où tout le monde se réunit pour une grande dégustation et pour faire la fête. Le slogan de cette fête est très évocateur :«πίννε κρασίν νάσιης ζωήν» bois du vin et tu auras la vie. Les animations y sont toujours nombreuses (spectacles de danses, pièces de théâtre...) et on peut même fouler le raisin, pieds nus, dans un fût géant avec un vrakas, danseur en costume traditionnel, au son du violi et autres instruments.
Je me souviens aussi que vers la mi-août, nous nous rendions tous ensemble à Famagouste (Ammochostos), enfin du moins à la frontière, pour assister à un grand concert et à une descente aux flambeaux. Mon frère et moi participions avec enthousiasme à cette manifestation, notre grande fierté étant, bien entendu, de porter un grand flambeau, comme les grands.
Cependant, nous ne comprenions pas vraiment pourquoi autant de gens avaient un regard si triste. Ce n'est que plus tard, en grandissant, que nous avons compris ce que symbolisait cette soirée : Chypre a été envahie dans un premier temps le 20 juillet 1974, à Kérynia, mais les soldats turcs ont débarqué sur les côtes de Famagouste le 14 août 1974 et c'est pour commémorer le triste anniversaire de l'invasion que nous étions tous là-bas, les yeux rivés vers ces fils barbelés qui nous empêchaient de regagner nos propres terres, nos foyers, nos églises. Au loin, tout semblait désert, abandonné mais on pouvait apercevoir, ça et là, quelques drapeaux turcs flotter sur le toit de nos maisons.
C'est pourquoi, hormis toutes ces images, ces couleurs et ces odeurs, mon enfance reste aussi marquée par ces soirées, par ce que j'entendais sur Chypre, tout ce que j'imaginais, sans savoir. Par son invasion, par la guerre, par l'occupation, par le Varossi et Famagouste, la vieille ville, où mon père a grandi. J’imaginais souvent à quoi ressemblait son quartier d'après les quelques photos qu'il a pu garder en sachant pertinemment que je ne pouvais pas y accéder à moins de reconnaître que le pseudo Etat, créé par le leader turco-chypriote Rauf Denktash, est une République à part entière.
Mais cette année, la donne a changé. En effet, une semaine après la signature du traité d'adhésion de Chypre à l'Union européenne à Athènes, soit le 23 avril 2003, Rauf Denktash prenait la décision d'ouvrir la frontière entre la République de Chypre et le Nord de l'île, zone occupée par l’armée turque depuis 1974. Ainsi, 29 ans après l'invasion de l'île, Chypriotes grecs et Chypriotes turcs ont pu respectivement se rendre dans le Nord et le Sud de Chypre à la différence près que les Chypriotes grecs, pour se rendre dans la zone occupée, sont contraints de présenter leur passeport afin de passer la frontière.
Dès les premiers jours, au niveau des points d’ouverture de frontières, de grandes files d'attente se sont formées. Beaucoup de Chypriotes grecs ont souhaité se rendre dans le Nord, pour revoir leurs quartiers, leurs maisons et tout ce qui faisait leur vie d'avant l'invasion. Arrivés dans leurs villages les Chypriotes turcs sortaient dans la rue et les acclamaient. Beaucoup ont retrouvé des amis dont ils n'avaient aucune nouvelle depuis près de 30 ans.
Cette année, comme tous mes compatriotes, je me suis donc retrouvée confrontée à un choix difficile. J'avais la possibilité entre me rendre dans la zone occupée en présentant mon passeport, comme une touriste, dans un pays dont je suis citoyenne, ou bien ne pas y aller du tout.
Mon père, quant à lui, avait déjà pris sa décision : il voulait passer ses vacances à Chypre mais ne supportait pas l'idée de retourner chez lui, dans son Varossi natal et de voir quelqu'un d'autre habiter la maison dans laquelle il avait grandi. Il préférait, en tout cas pour le moment, se rappeler de sa ville telle qu'il l'avait quittée, animée, avec sa plage de sable blond, des gens souriants et heureux. Il a donc renoncé à son séjour.
Pour ma part, je ne savais pas ce que j'allais faire mais je savais par contre que Chypre m'appelait. Une fois sur place, je déciderai si oui ou non j'irais dans le Nord.
A peine arrivée, mon oncle me proposait de visiter le Nord Ouest de Chypre : Morphou et Kérynia ainsi que la partie occupée de Nicosie, la dernière capitale européenne divisée. J'acceptais et rangeais à contre cœur mon passeport dans mon sac. Nous sommes passés par le point d'ouverture de Nicosie, dans le quartier de Ayios Dométios.
Là, nous devons présenter nos passeports et payer une assurance pour la voiture puis nous rentrons en zone occupée. Une première chose m'a frappée : tous les noms de villes et de villages que je connaissais n'existaient plus. Nous ne nous rendons plus à Kérynia mais à Girne, nous ne visitons pas Morphou mais Güzelyurt. Tous les noms ont été changés. Mais ces changements n'ont pas touché que les noms des villes... Le vice a été poussé jusqu'à traduire les panneaux du code de la route. Ainsi, les panneaux STOP sont devenus des panneaux DUR!
Nous avons donc roulé jusqu'à Morphou, petite ville très calme. Je m'attendais à voir des petits quartiers de la sorte. Tout ce que l'on disait était vrai : les drapeaux turcs remplacent les drapeaux grecs, les églises ont été transformées en mosquées. Rien de bien surprenant jusque là. Nous sommes ensuite allés à Kérynia, petite ville réputée pour son port.
J'avais vu des photos de Kérynia avant l'invasion et j'ai très vite constaté que Kérynia n'avait pas l'air d'avoir beaucoup changé : c’est un petit port paisible, comme l'on en voit dans toutes les îles grecques. Beaucoup de gens étaient assis aux terrasses des restaurants et autres cafés et profitaient de cette belle journée. Nous ne nous sommes pas attardés, il nous restait un bon bout de chemin à parcourir. Nous voulions faire le tour de la partie occupée de Nicosie et nous devions rentrer sur Limassol.
J'ai habité quelques mois à Nicosie et je me rendais régulièrement au poste de garde de la rue marchande principale, la rue Lydra. De là, nous pouvions voir l'autre côté de la ligne de séparation. Il n'y a rien ; les immeubles sont à moitié effondrés, la ville semblait abandonnée, détruite. Un seul panneau est visible : No photo. J'imaginais donc Nicosie occupée comme une ville déserte mais j’ai été surprise de voir que ce n'est pas du tout le cas. C'est une ville vivante et bien vivante. De nombreux immeubles ont été construits aux dires de mon oncle, les gens y vivent semble-t-il paisiblement et ont tout à disposition : magasins, restaurants et même casino !
Je quittais donc la zone occupée cette même journée. Au moment de passer la frontière, au niveau du poste de contrôle, je vis un grand panneau au-dessus de ma tête : «Peace at home, peace in the world» (paix chez soi, paix dans le monde).
Je quittais la zone occupée avec ces derniers mots qui trottaient dans ma tête. Comment osaient-ils parler de paix ? Comment était-ce possible ?
Je demandais ensuite à mon oncle s'il était possible de revenir mais cette fois pour visiter Famagouste et sa nouvelle ville, le Varossi dont j'entends parler depuis ma naissance. Nous avons donc décidé de retourner une seconde fois en zone occupée, cette fois accompagnés de ma grand-mère qui voulait elle aussi revoir la maison dans laquelle elle avait vécu jusqu'à l'invasion.
Cette seconde journée a été bien plus dure à vivre que la première.
Nous avons beaucoup roulé, sur une route toute neuve, construite après 1974. Je voyais ma famille regarder à droite et à gauche en essayant de se repérer. Ils connaissaient le nom de tous les villages que l'on devait traverser pour arriver à Famagouste mais tous ont été rebaptisés et un doute subsistait à chaque fois que l'on croisait un panneau.
Aslankoy était bien le village d'Angastina ? Est ce que Dörtyol était bien Prastio ? Nous étions sûrs d'une seule chose : Gazimagusa était le nouveau nom de Famagouste et petit à petit nous nous en rapprochions.
Après une bonne heure de trajet, nous arrivions à Famagouste. Là, tout a changé pour moi. J'étais dans la ville que j'ai imaginée durant toutes ces années. Elle était là, devant moi. Cela me semblait surréaliste ; je me suis demandée si j'étais en train de rêver. Et pourtant, j'entendais la voix de mon oncle qui me parlait. Il me parlait, à moi, la fille de Yannis et il me montrait tout ce que j'avais toujours voulu voir : le quartier où ils habitaient, l'hôpital où est né mon père, l'école dans laquelle il a appris à lire, le cinéma qu'il fréquentait...
Puis nous sommes arrivés à la maison dans laquelle il a grandi, dans le quartier d’Ayia Paraskévi. Elle est, paraît-il, habitée par deux colons turcs. Ma grand-mère est descendue de la voiture et nous la suivions ma cousine et moi, en silence, sans même oser respirer. Nous avions un peu peur de sa réaction. Elle ne parlait pas non plus. Elle a ouvert le portail et est allée directement derrière la maison voir ce qu'il restait de la cour dans laquelle elle avait planté tous ses arbres fruitiers. Il ne restait que deux oliviers dont elle a découpés quelques branches afin de faire pousser un nouvel arbre au village, au Kolossi. Ma cousine et moi ne parlions toujours pas mais nous pleurions. C'était donc là que nos pères avaient grandi... Nous y étions enfin. Nous ne savions pas quoi dire et sans un mot nous avons rejoint la voiture.
Nous avons ensuite vu l'église d'Ayia Paraskévi dont il ne reste plus rien. Ni croix, ni icône, totalement détruite.. une véritable ruine. Nous sommes également passés devant le cimetière.
L'entrée principale a été fermée avec du béton mais il restait une petite issue par laquelle nous avons aperçu les tombes, toutes profanées, les croix cassées et renversées. Sur les murs on pouvait encore lire quelques inscriptions en grec.
Celle qui revenait le plus fréquemment était « ΕΝΩΣΗ », l'Union avec la Mère Patrie, la Grèce, que Chypre n'a jamais obtenu malgré une grande lutte contre la colonisation britannique.
Les potagers et les grands champs d'arbres fruitiers ont laissé la place à de grandes étendues jaunâtres d'herbe séchée. La partie Nord de Chypre représentait 70% des terres cultivables (notamment les agrumes) mais depuis 1974, ses terres ne sont plus entretenues.
Nous sommes ensuite passés devant l'église dans laquelle mon oncle et ma tante se sont mariés, la plus grande de Chypre, la Chryssospiliotissa.


Transformée en mosquée, elle était fermée et nous n'avons pas pu la visiter.
Nous avons ainsi fait le tour du Kato Varossi, accolé au Varossi qui, lui, reste fermé et inaccessible au public. Nous ne pouvons l'apercevoir que de derrière des fils barbelés. On disait que Famagouste était devenue une ville fantôme. C'est bel et bien le cas : il ne reste rien au centre du Varossi, «Ούτε Ψυχή» comme disent les Grecs, pas une seule âme.
C'est dans cette partie de Famagouste que mon oncle et ma tante avaient fait construire une maison qu'ils n'ont jamais pu habiter. Juste après leur mariage, ils louaient un appartement que nous avons retrouvé.
La personne y habitant a accepté de nous le faire visiter. Il ne parlait pas anglais, ni grec. Mais il n'a pas prononcé un seul mot en turc. Ce n'était plus un appartement mais un véritable taudis, sale et mal entretenu. Ma tante, très émue en y entrant, est restée bouche bée en retrouvant son réfrigérateur, sa coiffeuse, ainsi que d'autres meubles qui lui appartenaient. A tout hasard, nous avons demandé à cet occupant s'il n’avait pas conservé de photos. Sa réponse ne s'est pas faite attendre : il avait tout jeté mais avait par contre gardé assiettes, verres et tasses... 29 ans après l'invasion... tout était à la même place. Mon oncle, quant à lui, n'a pas souhaité visiter ni même s'approcher de son ancienne demeure, les souvenirs étant trop pesants.
Nous avons fini notre visite en passant pas la grande plage de Famagouste, la plage de sable fin où tous les Chypriotes des environs ont appris à marcher, celle qui a donné son nom à Ammochostos (enfouie dans le sable). Avant l'invasion, Famagouste était une grande station balnéaire.
La plage, s'étendant sur de longs kilomètres, était bordée de superbes hôtels dont il ne reste que des ruines inhabitées. Aujourd'hui on ne peut la longer que sur quelques mètres jusqu'aux fils barbelés qui nous séparent du Varossi. C'est à ce moment que j'ai compris que malgré les tentatives de règlement de la question chypriote, nous aurions très peu de chances de retourner un jour chez nous, dans le Nord de Chypre.
Ce n'était pas dans mon imagination que tout cela se passait.

Il existe une frontière et elle était là, devant mes yeux.
Certains condamneront peut-être le fait que beaucoup d'entre nous aient accédé au Nord sur présentation d'un passeport mais je ne regrette pas de l'avoir fait.
Ces deux journées m'ont permis quelque part de trouver les pièces manquantes du puzzle de ma vie que je suis arrivée à finir à ma manière. J'ai enfin des souvenirs, des images, des photos de la ville dans laquelle a grandi mon père. J'ai ramené un peu de sable de la plage de Famagouste. J'avais l'intention de le donner à mon père mais il l'a refusé en me disant qu'un jour, il irait le chercher lui même.
Chypre a toujours été à mes yeux, la plus belle des îles, mon île, celle où je me sens bien, celle où je suis moi. J'ai toujours dit que je l'aimais mais j'ai vu les choses différemment cet été. Cette année, je ne l'ai pas aimée, j'en suis tout simplement tombée amoureuse.
C'est la raison pour laquelle, j'ai, aujourd'hui, plus envie que jamais, de continuer à parler du problème de Chypre jusqu'à ce qu'y règne la paix et que l'île d'Aphrodite retrouve sa liberté.



Texte paru dans le numéro 77 de la revue ACROPOLIS.

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